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Traçage numérique : « Le moment est venu d’établir notre souveraineté numérique »
Collectif
A l’initiative du sénateur Jean-François Husson et du député Robin Reda, 108 parlementaires de la droite et du centre appellent à une révision constitutionnelle pour une charte du patrimoine commun des données numériques.
Publié le 25 avril 2020 à 06h00 - Lecture 4 min.
Tribune. La crise du coronavirus a invité au débat le sujet de la détention de nos données personnelles de santé. Il est notamment question de mettre en place une application de tracking, permettant de tracer les données mobiles pour lutter contre le Covid-19. L’utilisation de ces données peut s’avérer décisive pour la phase très sensible de déconfinement.
Déjà nombre de nos données font aujourd’hui l’objet d’un traitement par l’Etat. Soit il les détient directement, comme les données fiscales ou familiales, soit indirectement car le détenteur fait lui-même l’objet d’un contrôle par l’Etat. C’est par exemple le cas de nos données bancaires. Nos relations à l’Etat sont donc, de ce point de vue, marquées du sceau de la confiance. En effet, en définissant le régime juridique de ces données, l’Etat se porte garant de leur utilisation et garantit par là même le respect de la liberté de chacun.
Schizophrénie effarante
Mais par une sorte de schizophrénie effarante, si nous acceptons que l’Etat trace au quotidien l’usage de nos cartes Vitale, la plaque d’immatriculation de notre voiture ou encore la composition de nos produits alimentaires courants, nous hésitons à lui confier nos données personnelles et spécifiquement notre état de santé. Aucun régime juridique aujourd’hui ne les encadrant, nous confions de fait nos données aux Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft). Notons d’ailleurs que demain Google sera une gigantesque entreprise de santé pour deux raisons simples : la santé est le domaine d’activité le plus utile et c’est le domaine dans lequel il y a le plus d’argent à gagner.
Dès lors, en matière de données et en l’état actuel du droit, c’est le droit américain qui s’applique car les serveurs, les logiciels, les dispositifs de cryptages et les algorithmes d’analyse sont américains. Que préférons-nous ? Livrer aveuglément nos agendas aux Etats-Unis dont l’administration a tout pouvoir pour les exploiter ou faire confiance à notre propre pays ? Nous faisons confiance à l’Etat pour assurer notre sécurité dans la rue, il doit aussi garantir notre sécurité numérique.
Unité nationale
Le moment est donc venu d’établir notre souveraineté numérique. C’est le préalable à toute question de traçabilité et d’utilisation des données. Et c’est un débat qui dépasse de loin les clivages politiques traditionnels. Si l’unité nationale doit se faire c’est sur ce sujet.
Ne nous trompons pas d’enjeu : il ne peut y avoir de juste milieu en la matière. Evoquer l’anonymisation de la donnée ou son utilisation pour un temps déterminé au-delà duquel elle serait détruite est une plaisanterie. Sans la garantie de la souveraineté numérique, toute donnée numérisée et collectée est éternelle et publique. C’est-à-dire qu’actuellement elle est américaine et fait la joie des capitalisations boursières des Gafam.
L’Etat, garant du respect du droit
L’intervention de l’Etat en la matière n’est pas un problème mais la solution : il est le garant du respect du droit et de nos droits sur nos données. Il s’agit donc de combler un vide juridique en introduisant le droit dans ce champ numérique. Eriger une souveraineté française consiste simplement à ce que nos données résident sur nos serveurs et soient donc soumises à nos lois.
Le droit et la Constitution pourront s’appliquer aux données lorsque celles-ci seront résidentes. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il y a donc urgence à établir la République et le droit dans ce champ nouveau et virtuel qu’est le domaine des données. C’est la raison pour laquelle nous proposons une révision constitutionnelle en vue d’instaurer une charte du patrimoine commun numérique.
Notre vie entière migre sur le réseau. Notre passé, par nos souvenirs numérisés, est sur le réseau. Notre présent y transite de plus en plus qui, sans cesse, oriente nos décisions. Notre futur dépend du réseau car les informations collectées sur nous, aujourd’hui, déterminent les choix qui nous seront proposés demain. Chacun a une vie virtuelle sur le réseau. Il convient que celle-ci aussi soit protégée par le droit et que l’Etat y exerce sa souveraineté.
Solidarité numérique
De la même manière que le coronavirus de quelqu’un peut devenir celui de plusieurs autres, les données de quelqu’un renseignent sur de nombreuses autres personnes. Il doit donc y avoir une solidarité numérique comme il existe une solidarité sanitaire. Seul l’Etat peut en être le garant. Etablir notre souveraineté numérique est une protection juridique supplémentaire nécessaire dont les Français ont besoin.
La souveraineté numérique par la création du patrimoine commun des données, qui les place sous notre droit, est la seule manière de garantir simultanément notre liberté, notre sécurité et notre santé. Sans cette fondation, il nous faudra sans cesse faire des choix déchirants : la mort de nos proches ou la dépendance à des tiers étrangers ; la mort de nos proches ou la fin des libertés civiles. La souveraineté numérique est à la fondation de notre avenir, chaque jour plus en réseau. Elle est la réponse qui détermine toutes les autres pour un pays en urgence absolue.
Jean-François Husson, sénateur de Meurthe-et-Moselle (Les Républicains) et Robin Reda, député de l’Essonne (LR).